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« J'avais peur. Peur de m'attacher à un homme qui est là pour une prestation, et s'en va »

14 mars 2016

« Je n'avais jamais vu de corps nu »

Laetitia Rebord est handicapée. Presque plus aucun de ses muscles ne bouge. A 33 ans, elle a fait appel à un accompagnant sexuel. Elle n'avait jamais vu ou touché un homme nu de sa vie.
Ecoutez l'article raconté par Tiphaine Pioger, journaliste

Parce qu'entendre une histoire est plus intense pour certains que la lire, XXIe Sexe propose une version audio de chaque récit. Ils sont lus par des comédiens en formation en écoles de théâtre, dont la Comédie-Française.


Je ne peux bouger que mon visage, mon pouce et mon gros orteil gauche. Tous mes autres muscles sont paralysés. Mais quand on me touche, je sens tout. Je n'ai jamais eu de relations amoureuses. Et encore moins sexuelles. Jusqu'à juillet dernier. A 33 ans, j'ai fait appel à un accompagnant sexuel.

J'ai une amyostrophie spinale, une maladie génétique. Déjà dans le ventre de ma mère, je ne bougeais pas. A l'époque, les médecins disaient, amusés : « ce sera un bébé fainéant ». A mes 18 mois, le diagnostic tombe. Mes muscles se paralysent au fur et à mesure. Je n'ai jamais pu marcher. J'ai aussi une trachéotomie, avec un tube qui passe dans le trou de ma gorge pour m'aider à respirer. La nuit, je suis sous assistance respiratoire. J'ai toujours une auxiliaire de vie avec moi. 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Elles sont huit à se relayer. Il est facile de comprendre pourquoi je n'ai jamais eu d'amoureux.

Je défends depuis des années la liberté de faire appel à un professionnel. Je suis l'un des membres fondateurs de l'APPAS – association pour la promotion de l'accompagnement sexuel. Mais j'avais peur. Peur de m'attacher à un homme qui est là pour une prestation, et s'en va. Peur de ne pas pouvoir gérer une telle dose de tendresse. Peur de ne pas me détacher de lui. J'ai un tel manque d'affection... Dans ma vie, les seules personnes qui me font des câlins, ce sont mes parents. Et je ne peux même pas leur rendre. J'ai mis longtemps à me préparer. Pourtant, je sens que j'ai une forte libido, que je veux découvrir le plaisir charnel.

J'assouvissais ma frustration en aidant l'association à se développer. Quand le manque s'est fait trop oppressant, Jill Nuss, la coordinatrice des accompagnants sexuels, m'a mis en contact avec l'un d'eux : Philippe*.

J'avais une exigence. Il devait me plaire physiquement. La plupart ont plus de cinquante ans. Je ne me voyais pas avoir de rapports avec une personne qui a l'âge de mon père. Philippe, lui, a 39 ans. Il est grand et musclé, les cheveux bruns, très courts. Déjà, il me plaisait. Et il a été formé à l'APPAS, ce qui m'a rassuré.

« Personne ne me touche pour me faire du bien. »

On s'est donné rendez-vous dans un café près de chez moi, vers la gare de Grenoble. Un endroit neutre. Je devais le voir avant, juste pour discuter. J'avais demandé à mon auxiliaire de se mettre un peu plus loin, pour qu'on puisse parler en toute liberté. La conversation a débuté par des banalités, comme nos loisirs ou notre profession. Lui est escort : c'est le cas de beaucoup d'accompagnants sexuels.

Je voulais qu'on discute sans hésitation de mes attentes, ses limites, nos peurs. Lui refuse les bisous. Trop affectueux, selon lui. Dans le cadre de son métier, il avait déjà eu des demandes de personnes handicapées, mais pas aussi dépendantes que moi. Nous étions tous les deux novices. On a alors fixé un rendez-vous quelques semaines plus tard, chez moi.



Un seul élément m'a dérangé. Il m'a dit qu'il était célibataire. J'aurais préféré ne pas savoir. S'il est en couple, la barrière pour ne pas m'enticher de lui aurait été plus puissante. Je ne suis pas un robot, et lui non plus. On partage un moment de tendresse, je savais qu'il y aurait forcément un attachement, même provisoire. Je voulais juste être en capacité de me détacher aussi rapidement. Très professionnel, il m'a aidé. Les seuls messages que nous avons échangé concernaient l'organisation de nos rendez-vous.

J'appréhendais que mon corps ne fasse plus la différence entre des mains qui me touchent pour me donner du plaisir ou par fonctionnalité. Toute ma vie, je me suis retrouvée nue et manipulée par des gens pour qu'on me lave, qu'on m'habille, qu'on me soigne. Je sens tout, mais personne ne s'approche de moi pour me faire du bien. Mon corps m'a étonné. Il a tout de suite fait la différence. Et il a aimé.

« Quand l'accompagnant est arrivé, j'étais prête, installée sur mon lit, en nuisette »

Quand il est arrivé, mon auxiliaire est allée sur la terrasse. Moi j'étais prête, en nuisette sur mon lit. J'avais acheté cette lingerie longtemps auparavant, pour une telle occasion. Une heure et demi de plaisir avec un homme m'attendait. Un homme qui prendrait soin de moi, sensuellement.

Philippe a pris les initiatives. Pour la première séance, il m'a massé. Tout le corps, puis le sexe. Je n'ai pas eu d'orgasmes, j'étais si crispée et dans une telle découverte. Lors de la deuxième séance, deux mois après, j'étais beaucoup plus claire dans ma tête. J'avais des envies, et je les ai formulées. Je voulais toucher le corps d'un homme. Il a pris mes mains pour que je le caresse. Y compris son pénis. Je regardais, je ressentais. Je n'avais jamais vu de corps nu. Puis, il a amené mes mains sur mon corps. Comme je n'ai jamais vraiment bougé, je ne me suis jamais touchée. Mes mains n'avaient jamais effleuré mes joues, mes bras ou toute autre partie de mon anatomie. Pour moi, c'était une première.

Sous fond de musique, la peur m'a quitté. Peut-être parce que j’ai appris qu'il n'y aurait pas de pénétration. Très vite, il m'a annoncé : « je ne suis pas un gars qui bande sur commande ». Il m'a expliqué qu'il ne pensait pas pouvoir avoir d'érection avec moi. J'étais déçue. J'aurais aimé créer le désir chez l'autre. Il m'a soutenu que mon handicap n'y était pour rien.

Alors, je lui ai demandé un cunnilingus. L'effet m'a stupéfaite. Je ne pensais pas que mon corps pouvait me procurer autant de plaisir. On m'appelle « le cerveau », parce que j'ai toute ma tête, mais elle n'est pas reliée à mon corps, comme si je le traînais. A ce moment précis, ce dernier n’était plus juste une masse, je reprenais possession de lui.

« Je rêve d'embrasser un homme »

A plus de 150 euros la séance, hors frais de déplacements, je ne peux pas faire appel à Philippe régulièrement. Je n'ai qu'un télétravail à mi-temps. Je suis traductrice pour une entreprise danoise de systèmes de pompage à destination des professionnels. Mais j'ai encore tellement de choses à découvrir. Je rêve d'embrasser un homme, de faire l'amour avec lui. Je n'ai jamais fait de fellation non plus. D'ailleurs, le jour où cela arrivera, ce sera sûrement épique puisque l'homme doit m'accompagner dans tous mes mouvements.



L'accompagnant a changé la façon de me conduire avec les hommes. Je vais sur de nombreux sites de rencontres. Les résultats ne sont pas convaincants pour le moment. A part avec un. Pendant des semaines, nous avons échangé de simples messages, puis des messages sexuels. Je ne prenais pas en compte mon handicap. C'était notre petit jeu. Dans nos têtes, pendant ces échanges, je pouvais lui faire tout ce que je voulais, et lui aussi.

Nous avons aussi discuté concrètement de ce qu'il était possible de faire au lit. Je n'ai aucun mal à en parler puisque le jour où j'aurai une réelle relation, mon copain devra accepter toutes les contraintes. Et ma passivité. Je dis « le jour où » puisque je ne corresponds plus avec cet homme. Nous devions nous voir, puis il a pris peur. Il n'est jamais venu.

Je ne le ressens pas comme un échec. Je me suis rendue compte que je pouvais plaire. Et cet homme m'a aussi fait comprendre une chose : si je suis passive dans les actes, je peux être très active par la parole, et stimuler mon partenaire de cette manière. Cette « rencontre » a eu lieu trois semaines après mes séances avec Philippe. Il a désamorcé quelque chose en moi.

« Je n'ai pas envie de faire appel à des accompagnants toute ma vie »

Avant, je me contentais de regarder du porno. Je contenais ma frustration par une satisfaction visuelle. Je me demande si provoquer ma propre envie sans pouvoir l'assouvir ne me faisait pas plus de mal. De toute façon, j'ai arrêté. Ce n'est absolument pas l'image de la sexualité que j'ai envie d'avoir.

Me rendre compte de ce que pouvait être la sexualité, la vraie, a d'ailleurs été très dur. Quand j'étais adolescente, mes amis commençaient à l'aborder. Mon quotidien en était si loin. Quand il parlait de leurs premiers amours, j'étais encore à 100% dépendante de mes parents. Eux ont tout fait pour que ma sœur, atteinte de la même maladie génétique, et moi ayons une vie au plus près de la normalité. Le sexe était le seul sujet devant lequel ils se sentaient démunis. Ils ne pouvaient rien faire pour nous. Au mieux, on parlait de prévention.

Ils savent que j'ai fait appel à un accompagnant sexuel. Mes parents me soutiennent, même si ma mère m'a confié : « Je ne sais pas comment tu fais ! ». Ma sœur, elle, n'a jamais eu de relations amoureuses non plus. Elle dit qu'elle n'est pas prête à aller dans mon sens mais elle pose tellement de questions que je la sens titillée.

Je sens qu'avoir quitté ma famille m'a permis d'avancer. J'ai grandi à Albertville en Savoie, puis j'ai fait des études à Grenoble, avant de revenir vivre chez mes parents. Depuis deux ans, j'ai enfin mon propre appartement. Je m'affirme davantage depuis. J'ai mûri. Quand je sortais, j'avais l'impression que les gens ne voyaient que mon fauteuil et pas moi. Cette impression s'estompe peu à peu. Avec Philippe, j'ai passé un autre cap. J'ai moins de mal à me regarder dans le miroir. Sauf nue. Je suis un peu tordue, je n'aime pas encore réellement mon corps.

Là, je suis à la recherche d'affection, pas seulement de sexe. Je n'ai pas envie de faire appel à des accompagnants toute ma vie. C'est juste un moyen de franchir le pas vers de réelles relations. Dans mon idéal, je rencontrerai un homme qui m'apprécie pour ce que je suis, mais sans rapport financier entre nous. J'ai envie d'une histoire d'amour.


*Le prénom a été changé


@Clémentine Billé

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Walter Salens

Bonjour Laetitia, très heureux de te retrouver, car tu avais un peu disparue des réseaux. Je me souviens du forum handicap.fr, du calendrier Cal'Handis 2010 - juillet. Plus heureux encore que tu ais pu combler un désir, un espoir souvent exprimé clairement et publiquement. M.Nuss+Jille+Appas y sont pour quelque chose dans ce grand saut. Tu es sublime sur toutes ces photos. Au fond, quand on est traductrice, logique de traduire rêve en réalité.Bisous amicaux.


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